Entretien avec Carine Petit (2/2)

Du partage, des liens

26 mars 2019

Dans la seconde partie de l'entretien accordé au blog du projet, Carine Petit, maire du 14e arrondissement, détaille les facteurs d'animation du quartier et souligne l'importance que revêt, parmi eux, la mutualisation de l'équipement Pinard.

Quel pourrait être l’apport de la mutualisation des espaces de l’équipement Pinard dans l’ouverture au quartier ?
C’est une obligation de résultat ! Dans une ville dense comme Paris, chaque mètre carré devrait être mutualisable. Un préau d’école, un réfectoire, un jardin de crèche… devraient être accessibles à différents publics pour les usages les plus divers. La limitation horaire, de 8h00 à 18h00, et hebdomadaire de leur fonctionnement n’est plus supportable face aux besoins innombrables de la vie et de la ville. Nous ne reproduirons pas le mécanisme habituel d’addition des équipements : une maison pour les jeunes ici, un espace sportif là, un cours de musique ailleurs encore… Nous n’en avons plus les moyens, ni financièrement ni en termes d’espace disponible.

Sans compter les effets d’interaction liés au partage ! Dans le quartier de la Porte d’Orléans, par exemple, un besoin de locaux pour l’aide aux devoirs s’exprimait et dans le même temps les espaces communs d’une toute nouvelle résidence universitaire étaient inutilisés. Nous les avons affectés au soutien scolaire. Aujourd’hui, les enfants du quartier côtoient des étudiants et se posent des questions sur leur futur… La diversification de la programmation du lieu pourrait se poursuivre à l’avenir avec l’accueil de la gymnastique pour le troisième âge. Dans le même secteur, nous nous apprêtons à ouvrir le samedi la ludothèque d’une crèche, un espace magnifique jusqu’ici fermé du vendredi soir au dimanche soir. Au moment même où nous étions confrontés à une demande de création d’une ludothèque dans le quartier.

La gestion d’un équipement partagé, avec des usagers diversifiés, est complexe. Qui la prendra en charge ?
C’est une première, mais il est indispensable de trouver une solution adaptée. Et j’ai la conviction que la délégation de service public n’en est pas une. Nous demandons à la Ville de créer un profil de poste spécifique, de type régisseur, capable d’élaborer une programmation et d’assurer le fonctionnement logistique. Il travaillerait en lien avec les directions des trois équipements réunis au sein de Pinard, pour coordonner leur fonctionnement. Il lui reviendrait aussi d’optimiser l’utilisation des surfaces disponibles en organisant, par exemple, l’accueil d’un repas associatif dans le réfectoire le dimanche midi.

Quelles activités devraient accueillir les socles actifs ?
Certaines activités ont les moyens de payer d’importants loyers, d’autres pas… comme « La Ressourcerie » ou les « Fleurs d’ici » qui n’auraient pu démarrer sans l’appui des Grands Voisins. Aujourd’hui, l’attente du public, comme la mienne, évolue pour écarter les grandes enseignes surreprésentées. Nous leur préférons des activités sociales et solidaires, comme des épiciers en circuit court, par exemple, auxquelles il faut accorder un temps pour se développer. Un schéma économique et immobilier le plus accessible possible à tout type d’activité, reste à inventer. Il s’organiserait autour d’un principe de péréquation des loyers (certains payent plus pour compenser d’autres loyers plus faibles) confié à un gestionnaire unique, permanent, pour l’ensemble des socles actifs. Sans attenter nullement à la liberté du commerce, la puissance publique a souhaité un cahier des charges strict capable de défendre cette vision des rez-de-chaussée actifs. Évidemment, nous ne prétendons pas choisir tel ou tel épicier de vrac, mais je refuse que, comme trop souvent, l’opérateur impose une enseigne dont le modèle serait exclusivement mercantile, des valeurs que je ne partage pas.

Il n’y a encore ni certitude autour de ce modèle alternatif ni garantie de sa réussite mais la question du socle commerçant se jouera largement cette année avec l’élaboration de ce cahier des charges. Il intègrera, entre autres, la réflexion sur les modalités de gestion, notamment dans le temps. C’est un apport majeur de l’occupation transitoire de Yes we camp et Plateau urbain, bien qu’ils aient eux-mêmes tiré des leçons de l’expérience au regard des modèles initialement envisagés.

Les attentes exprimées par les riverains sont-elles a priori les mêmes que celles des futurs résidents ?
C’est justement pour répondre à ce type de question que nous nous apprêtons, à l’occasion des consultations de désignation des gestionnaires, promoteurs et bailleurs, à associer dès à présent, un maximum de futurs résidents à la poursuite de l’élaboration du projet. Avec la RIVP, par exemple, nous allons tenter d’identifier, pour les impliquer dans cette réflexion, les futurs locataires des logements sociaux à trois-quatre ans environ, actuellement demandeurs.

Ce sont aussi des occasions d’organiser, avant même la livraison des immeubles, la rencontre entre résidents et riverains de Saint-Vincent-de-Paul. Les dispositifs de concertation déjà actifs autour des questions d’intérêt général vont perdurer, comme cela a été le cas avec les ateliers autour de l’équipement mutualisé Pinard et, demain, autour de l’espace public.

Sur quels points vous montrerez-vous particulièrement vigilante dans les mois à venir ?
L’année 2019 est particulièrement importante car des aspects-clé du projet vont commencer à se matérialiser à travers les procédures réglementées de consultation et de concours. Nous demandons, avant juin et les résultats finaux, un partage avec le public du travail des équipes participantes notamment pour les îlots Pinard et Lelong. C’est autant une question de contribution citoyenne que d’intérêt pour l’apport passionnant des quatre équipes. Cette présentation publique ne nous empêchera évidemment pas d’assumer pleinement notre responsabilité politique. Une attente analogue s’exprime autour de l’espace public. Nous serons également très attentifs à la question de la gestion locative avec les différents bailleurs ou à celle du socle actif avec l’opérateur désigné.

Nous abordons ces questions avec sérénité car la confiance mutuelle entre Ville de Paris, Mairie du 14e et Paris & Métropole aménagement, l’aménageur, est grande, notamment dans l’exigence de dialogue, de développement durable et d’écologie.

À quoi mesurera-t-on, dans quelques années, la réussite du quartier ?
Je rêve d’un lieu et d’un mode d’habitation différents de ce qu’on connaît ailleurs, où un lien d’intégration fort s’établirait entre le quartier, l’espace public, l’immeuble, le hall d’entrée, le logement… J’exclue l’idée d’une résidentialisation semblable à celle de Broussais, d’une privatisation de l’espace autour de l’immeuble d’habitation avec des grilles.

D’ores et déjà, il y a un avant et un après dans la gestion du « temps intercalaire » de l’urbanisme temporaire. C’est un apport très stimulant dont je suis extrêmement fière. Même s’il faut reconnaître que la mixité, bien que réelle (hébergement d’urgence, activités, visiteurs), n’a pas inclus toutes les catégories d’habitants du 14e, notamment les plus modestes ou les plus jeunes, qui n’ont pas tous eu la chance de découvrir les Grands Voisins.

J’ai une certitude néanmoins. Cet exemple a marqué les esprits y compris dans un contexte qui ne lui était pas nécessairement acquis par avance. Cela induit désormais un défi de création d’outils d’aménagement urbain différents établissant un rapport renouvelé entre le politique, l’aménageur, le citoyen, y compris le citoyen opposé au projet !

Cette expérience semble nourrir dès à présent une nouvelle approche urbaine au-delà de Saint-Vincent-de-Paul ?
Sans aucun doute. Je me souviens, par exemple, avoir été interpellée par une habitante qui regrettait la disparition annoncée d’un cours de yoga aux Grands voisins. Je lui ai simplement proposer de faire vivre à son tour l’esprit Grands voisins à proximité de son immeuble où des rez-de-chaussée sont sous-utilisés.

Je n’appréhende plus de la même manière, comme je l’ai dit, l’addition des demandes isolées de locaux d’associations, de porteurs de projets commerciaux… Elles doivent se penser dans des logiques, de partage, de mutualisation, d’évolution dans le temps. La construction n’est plus l’option unique, les potentialités du quartier doivent être raisonnablement explorées en amont. Ce raisonnement nouveau d’ouverture de lieux publics à d’autres activités publiques se diffuse progressivement au sein de la population comme au sein des services municipaux. Les moyens de la collectivité se restreignant, la rationalité pousse à envisager la mutualisation plutôt que la construction systématique.

L’ancien garage Citroën de la Porte d’Orléans attisait la convoitise de promoteurs mais nous avons préféré lancer le projet de réaménagement sur d’autres bases, avec une occupation temporaire d’Emmaüs. Lors de la réunion publique de présentation, l’annonce de l’ouverture de deux-cents places d’hébergement d’urgence a été faite… sans aucune réaction de scepticisme ou d’hostilité.

La conscience politique, y compris celle du public, a changé. La densification n’est plus une évidence. Nous abordons différemment le projet Maine Montparnasse, alors que le projet Gaîté, décidé il y a une dizaine d’années, ne se développerait plus de la même manière. L’action des opérateurs privés en termes de densification est une impasse politique, environnementale et économique. Elle mérite d’être régulée. Comment ? En la confrontant au regard citoyen.

En plus de l’effet Grands voisins, se lit donc déjà un effet projet Saint-Vincent-de-Paul. Nous le poussons, il est partagé. Nous y puisons une énergie particulière qui, me semble-t-il, dépasse, maintenant, l’échelle de l’arrondissement.

Lire la première partie de l'entretien : L'inspiration berlinoise

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