L'inspiration berlinoise
Dans un long entretien accordé au blog du projet (publié en deux parties), Carine Petit, maire du 14e arrondissement, revient sur la genèse du quartier Saint-Vincent-de Paul et trace ses perspectives.
Lorsque l’hôpital a fermé ses portes, aviez-vous déjà une intuition sur son devenir ?
Je savais ce qu’il ne fallait plus faire et comment faire autrement. En visitant Berlin en 2007, j’avais vu tellement de possibles : des lieux créés et animés par les habitants ; un immeuble comprenant une crèche, des logements, l’équivalent d’un club de prévention, des petites entreprises et, au milieu de tout cela, un café improbable où tout le monde se croisait. La directrice de l’urbanisme nous avait parlé du bouleversement de la ville en cours et de la nécessité, pour le réussir pleinement, d’associer les habitants en dépassant l’approche technocratique. Pour discuter des grands objectifs et s’interroger sur la manière de les concrétiser ensemble.
Lorsque j’ai été élue, en 2014, nous avons hérité de la reconversion de l’hôpital Broussais qui n’avait pas bénéficié d’une occupation temporaire ni d’une association étroite des habitants. Le nouveau quartier, aujourd’hui presque terminé, aurait pu être différent, pas dans l’équilibre fonctionnel car il comprend divers types de logements, activités culturelles, équipements, espaces publics, mais dans son aménagement. À Saint-Vincent-de-Paul, j’avais envie de travailler différemment. Sans compter que l’ancien hôpital est largement reconnu comme un lieu symbolique. Des gens se sont battus contre sa fermeture. De très nombreux Parisiens y sont nés, y ont travaillé, ou s’y sont rendus pour des urgences. Il fallait préserver cette dimension publique d’ouverture à tous.
Les Grands Voisins, ont-ils incarné cette aspiration berlinoise ?
Oui, je le pense. Cette logique de partage se retrouve aujourd’hui dans les « socles actifs », dans le cahier des charges de l’équipement public, dans les espaces publics. Elle commence aussi à s’incarner dans les projets des architectes, des promoteurs et des bailleurs, qui conçoivent les différents bâtiments, dans la manière dont chaque logement participe au bien vivre dans le quartier.
Les Grands Voisins, personne n’y croyait au début, mais leur succès est indéniable. Seul Barack Obama n’y est pas venu, même si tout le monde l’attendait ! Et les habitants du 14e étaient très fiers de savoir que tout Paris s’y retrouvait. Ce sentiment a favorisé l’appropriation du site et du projet. Très tôt, j’avais sensibilisé Yes We Camp et Plateau Urbain à la qualité de « leurs propres grands voisins » : la Fondation Cartier, l’Observatoire de Paris, les couvents, et les habitants qui partagent, au cœur de Paris, le privilège d’un quartier à l’identité marquée. Il importait de le traiter avec égards. Et progressivement, Il y a eu une construction collective, sociale et politique, autour du quartier en devenir.
La manière de conduire le projet est ici essentielle, mais aviez-vous une certaine idée du futur quartier ?
Tout en privilégiant une démarche ouverte à l’imagination, je défendais quelques grands principes de projet. Pendant la campagne électorale, je m’étais exprimée — avec toutes les candidates — lors d’une réunion organisée par une association de riverains opposée au projet. Celui-ci ne devait pas prétendre répondre aux besoins de tout l’arrondissement ou de tout Paris, en cumulant piscine, stade, logements, équipement culturel… Pour moi, il s’agissait d’un quartier de vie et de ville classique, comme on les aime à Paris. Notre priorité politique était le logement, les équipements publics de proximité et la manière de concevoir une ville durable. Restait à faire émerger un projet, en suscitant des envies, en laissant découvrir ce qui peut faire un quartier du Paris de demain. Et prendre le temps de le faire.
La perception des lieux par les habitants de l’arrondissement et les riverains a-t-elle évoluée depuis le lancement de l’occupation temporaire ?
Nous avons partagé nos raisons lors d’échanges de fond. Certains ne seront jamais d’accord avec nous, par exemple, sur l’objectif de construction de logements sociaux, mais ont fini par comprendre notre position et constater que nous répondons à un besoin. Désormais, des riverains acceptent mieux la présence du logement d’urgence dans le projet, car, depuis 2014, la preuve a été faite que l’installation de 600 personnes précarisées ne posait pas problème. À tel point que nous pouvons envisager ce type de programme dans d’autres projets. De même, les habitants de l’arrondissement ont constaté qu’il pouvait y avoir dans Paris des espaces sans voiture où laisser jouer les enfants. Cela n’empêche pas d’intégrer des contraintes qui s’imposent aussi bien à la Ville qu’à un promoteur. Nous avons dû admettre ensemble que l’acquisition de 3,5 hectares dans Paris représentait un investissement public qui ne se justifiait que par la naissance d’un nouveau quartier et pas seulement d’un espace vert.
Comment peut-t-on maintenir cette intensité d’échanges entre un lieu partiellement clos et le reste de la ville ?
Le quartier n’a rien d’un quartier dortoir. Tous les pieds d’immeubles accueilleront des socles actifs animés, utiles au plus grand nombre, avec notamment des commerces et des services. Les riverains vont d’ores et déjà chercher leur pain à la boulangerie Chardon. Ensuite, le quartier est traversant pour les piétons. Ils peuvent rejoindre l’avenue Denfert-Rochereau depuis la rue Boissonade sans passer par le boulevard Raspail. La localisation de l’équipement public de proximité joue également un rôle déterminant. Avec l’agence Beltrando, nous avons choisi de le situer dans l’ancienne maternité Pinard, au cœur du quartier. Ses futurs utilisateurs, résidents et riverains, seront obligés de traverser ce dernier, générant des flux de passage. La programmation multiple — crèche, gymnase, école maternelle et tiers espaces — ajoute, elle aussi, à la diversité des usages au profit de l’animation urbaine.
En revanche, le CINASPIC (Construction et Installations Nécessaires Aux Services Publics d'Intérêt Collectif), lieu de destination avant tout, est reporté sur la principale façade du quartier, côté Denfert-Rochereau. Son programme n’est pas déterminé à l’heure actuelle, mais il devrait incarner, à l’instar de la Fondation Cartier, l’ouverture et l’attractivité du quartier : un lieu de visite autant que de partage. On peut également l’imaginer, par exemple, comme un lieu de savoir, à caractère universitaire ou éducatif. L’attente est forte, nous aurons à l’évaluer avec Paris & Métropole aménagement. La Fondation Cartier — même si elle a fait un choix de développement autre — mesure bien l’évolution positive du site. Je pense qu’elle cherchera de nouvelles interactions avec Saint-Vincent-de-Paul, que ce soit dans le rapport à l’espace public ou par l’implication de porteurs de projet complémentaires à son offre.
Cela reste très ouvert. Il est normal et souhaitable que certaines composantes du projet ne soient pas arrêtées, que le champ des possibles soit encore exploré. Ce qui m’importe reste de déterminer les grands équilibres du quartier et de garder le cap, comme ce fut le cas avec les Grands Voisins. En tant qu’élu je ne prétends pas être omniprésente dans la définition détaillée du programme. Il m’importe davantage de préserver l’esprit du projet, de garantir le débat public quitte à accepter la remise en cause, de veiller au pilotage efficace et à l’atteinte des objectifs. Participer et être à l’écoute en deux mots.
Lire la seconde partie de l'entretien : Du partage, des liens