De la co-conception à l’auto-construction
Atelier participatif du bâtiment Lepage © Paris Habitat / Dreier Frenzel / Belval & Parquet
On sait le bâtiment Lepage innovant par son mode de construction envisagé, bois et paille, ou sa programmation résidentielle en Bail réel solidaire. Il l’est aussi par l’ambition de la démarche de coproduction du bâtiment à laquelle certains de ses futurs résidents se sont consacrés sans compter.
Entretien avec Céline Dias, cheffe de projet chez Paris Habitat, coordinatrice de la démarche d’habitat participatif
En quoi le projet Lepage est-il particulier ?
À plusieurs égards, mais d’abord au niveau des caractéristiques programmatiques. Le bâtiment offrira pour la première fois à Paris des logements en Bail Réel Solidaire (BRS). Cette forme d’accession sociale à la propriété permet aux classes moyennes d’acquérir sous conditions de ressources un logement à un prix de moitié inférieur à celui du marché parisien. 23 appartements seront dédiés à ce dispositif. Ils cohabiteront avec 10 logements locatifs sociaux dont deux en co-living : une colocation de personnes en situation de vulnérabilité. La seconde originalité du projet, non moins importante, tient dans sa dimension participative. Les futurs propriétaires des logements en BRS co-élaborent le projet aux côtés du concepteur et de Paris Habitat, qui est propriétaire-bailleur des logements sociaux, mais aussi coordonnateur de l’ensemble du processus.
Quel est l’objet du travail participatif plus précisément ?
Les futurs propriétaires des logements BRS se sont engagés dans un processus collaboratif de longue durée. Il a débuté, à l’automne dernier, par leur contribution collective au choix des concepteurs. Pour ce faire, ils ont analysé les intentions de projet des équipes candidates et leur méthodologie de coproduction. À ce stade, il ne s’agissait évidemment pas de projet, puisqu’il restait à concevoir ! Parmi les quatre agences concurrentes présélectionnées par Paris Habitat et la Ville de Paris sur dossier, ce sont les architectes suisses Dreier Frenzel associés aux architectes français Belval & Parquet qui ont été choisis en janvier. Cette équipe a une grande expérience du logement participatif. Ils se sont distingués par l’étendue des sujets ouverts à la co-conception avec les futurs habitants et par la maitrise de la méthode employée.
Comment s’organise le processus collaboratif ?
Jusqu’au dépôt du permis de construire, à l’automne prochain, un atelier mensuel est organisé. Les concepteurs et l’ensemble des futurs habitants s’attachent à la conception globale des espaces et du fonctionnement de l’immeuble. Ils partageront des questions essentielles telles que l’organisation générale du bâtiment, la répartition des espaces mutualisés, les appartements… Le rôle de l’agence est de guider les participants, notamment en précisant ce qui est techniquement réaliste, les variants possibles et les éléments invariants. Ces derniers sont par exemple la trame structurelle, le positionnement de l’escalier et de l’ascenseur ou encore les passages des conduits de chauffage ou de ventilation. Lors de ces ateliers les architectes soumettront différents scénarios qui sont plus des points de départ pour la discussion qu’un choix entre des options.
Le travail collaboratif se poursuit-il au-delà du dépôt du permis de construire ?
Oui, car de nombreux aspects du projet restent alors à définir, comme l’aménagement du toit terrasse, la programmation des espaces mutualisés (buanderie, chambre d’amis partagée, potager, serre…) ou encore certains matériaux de revêtement intérieur. Une fois le permis de construire déposé, des groupes de travail thématiques sont constitués dans lesquels les habitants vont cette fois se répartir. Les propositions débattues vont s’étoffer en intégrant la dimension économique et les contraintes de coût. Les arbitrages collectifs ont lieu ensuite lors de séances plénières trimestrielles. On y validera, par exemple, le catalogue de matériaux de finition constitué par un des groupes. Chaque foyer pourra plus tard y puiser librement pour personnaliser son logement. À ce stade on imaginerait aisément que le processus de participation prend fin. Or, les volontaires ont la possibilité de s’impliquer directement dans la réalisation de certains travaux lors d’ateliers d’auto-construction encadrés par les concepteurs. Les autres visiteront périodiquement le chantier pour juger sur pièce de leurs choix collégiaux. Le principe constructif envisagé, très écologique, n’est d’ailleurs pas si courant encore à Paris avec une structure en bois, un remplissage en paille, et un enduit de façade naturel !
Quel bilan tirer des premières étapes du processus participatif ?
Les 23 foyers concernés font tous preuve d’une grande capacité d’analyse, d’organisation… ainsi que d’enthousiasme et de confiance. Car il leur faut parfois savoir déléguer. Seuls deux représentants des habitants étaient ainsi présents lors de la présentation orale des offres des quatre agences de concepteurs. Ces rapporteurs ont témoigné des échanges auprès des habitants lors d’un débat préalable au choix final. Deux soirées animées par Paris Habitat ont notamment permis d’échanger avec l’ensemble des familles sur leur perception des offres et sur l’analyse technique. Sur un plan humain, la démarche collective est pleine d’intérêt, pour les habitants, les concepteurs et le bailleur.