Des débouchés avant tout associatifs
Tables réalisées en transformant d'anciennes portes © Mobius
Le démantèlement du bâtiment Rapine, dernier des immeubles démolis, s'achève. Et la démarche expérimentale de réemploi des matériaux de construction, encadrée par Mobius, aussi. Premier bilan.
Le processus de démolition-réemploi inauguré mi-2018 avec les pavillons Pasteur et Jalaguier était à l’époque fondamentalement expérimental. Ce test à grande échelle permettait de confirmer des méthodes et d’évaluer des hypothèses dans un domaine d’action à peine exploré. Des enseignements se sont dégagés progressivement qui ont influé sur la suite des opérations et sur la naissance d’un savoir-faire.
Par exemple, un premier présupposé s’est trouvé rapidement contredit. L’essentiel des matériaux collectés depuis le début du chantier n’a trouvé une deuxième vie qu’hors les murs de Saint-Vincent-de-Paul et non in situ comme espéré idéalement. Tout cela pour une question de concordance des temps entre déconstruction et projet. Difficile de stocker ces ressources des années durant dans l’espace très contraint du chantier, dans l’attente d’une réutilisation dans les futurs bâtiments du quartier. Autant les céder rapidement, en suscitant les opportunités, à des projets prêts à se concrétiser. Autre enseignement, seule une part mineure des matériaux collectés rejoint l’économie de marché. Les coûts d’une dépose soignée et de remise en état ne les rendent pas compétitifs avec des matériaux neufs. Peut-être le seront-ils à l’avenir, avec l’augmentation de l’offre en réemploi, la raréfaction des matières premières et une sensibilité écologique accrue des acteurs économiques et acheteurs ? Mais, pas pour l’instant. D’ici là, un travail de pédagogie peut néanmoins être mené.
Ces coûts de remise en état disparaissent en revanche heureusement lors de projets alternatifs, associatifs ou solidaires. L’intervention de bénévoles ou le soutien d’acteurs publics y pourvoient. La démarche de réemploi des matériaux de construction prend alors, dans le contexte actuel, tout son sens. C’est dans cette configuration qu’il faut comprendre et analyser le projet Saint-Vincent-de-Paul.
Des fenêtres double vitrage ont été, par exemple, transformées en serres, à trois reprises, par des repreneurs dans des contextes différents : « On sème tous », association qui aménage des jardins partagés en ville, Boris Canal, agriculteur de Seine-et-Marne et Yes We Camp (ancien gestionnaire avec Aurore et Plateau Urbain du site des Grands Voisins), dans un site d’occupation temporaire à Nanterre. À partir de dalles de faux-plafond en bois issues du bâtiment Rapine, la ressourcerie La Grande Ourcq a réalisé des cloisons pour réaménager ses locaux de Romainville. Des portes, des panneaux de plexiglas, des luminaires et de l’appareillage électrique… y ont été aussi réemployés. Le Charpentier volant, une entreprise environnementalement et socialement engagée, récupère, elle, une partie des poutres en bois massif du bâtiment CED/Petit. Une autre partie du stock, cédée à l’association Atelier R-ARE, sera transformée en mobilier.
Cloison réalisée avec d'anciennes dalles de faux plafond © La Grande Ourcq
Les sanitaires (éviers, lavabos, cuvettes de WC) sont également très prisés pour équiper des locaux associatifs comme, par exemple ceux de l’association Principe Actif. Cas particulier, l'agence d'architecture Grand 8, devrait en récupérer pour les réutiliser dans le cadre du réaménagement de l’ancienne ferme Montsouris, dans le 14e arrondissement, acquise par la Ville de Paris afin d'accueillir un acteur culturel et citoyen.
Les débouchés possibles du réemploi se sont également révélés et clarifiés au cours de ces trois années. La fabrication de mobilier représente désormais une perspective majeure. L'entreprise Edmond Menuiserie a transformé une trentaine de portes en tables pour des logements étudiants de la RIVP (Régie Immobilière de la Ville de Paris). 1 200 autres portes de l'ancien hôpital sont redimensionnées et traitées actuellement par des personnes en insertion professionnelle. Elles constitueront une partie du mobilier de stand du 10e Forum international Bois Construction, cet été au Grand Palais Éphémère de Paris. Le projet « Ceci n’est pas une porte » réunissant Mobius, l’agence d’architecture AAVP et ARES (Association pour la Réinsertion Économique et Sociale) a permis d’accéder à une production de série après prototypage.
Exposition du projet « Ceci n'est pas une porte » en vitrine du Pavillon de l'Arsenal, à Paris ©Mobius
Table réalisée dans le cadre du projet « Ceci n'est pas une porte » ©Mobius
Le mobilier est également source de création. L'association « l’école de l’apocalypse », spécialiste de la création métallique, a inventé des canapés chauffants à partir de radiateurs en fonte ! Ceux-ci font partie des rares produits à alimenter, depuis longtemps, une vraie filière économique. Le radiateur en fonte se recycle bien et présente des performances comparables, voire supérieures, à celles des radiateurs contemporains en acier. Des structures spécialistes de la filière existent comme Décapfonte, ou Alphamétal. L’entreprise Tricycle Environnement s’est aussi positionnée sur le gisement de Saint-Vincent-de-Paul et pourra commercialiser une part des radiateurs récupérés.