Le projet se confirme
Le futur quartier intègrera un réseau de collecte et de recyclage des urines. Elles seront transformées sur place en un engrais 100% naturel, qui enrichira le sol des parcs et jardins parisiens.
Entretien avec Ghislain Mercier, responsable du projet chez Paris & Métropole Aménagement.
Où en est actuellement le projet de recyclage des urines ?
Les études, initiées fin 2019 et menées en 2020, ont démontré la faisabilité technique et la pertinence économique de cette démarche d’économie circulaire. En affinant progressivement les hypothèses originelles, les modalités de mise en œuvre ont été définies et un modèle économique viable a été dégagé. La concrétisation à l’échelle du futur quartier a été décidée en octobre dernier.
Quel est donc le projet ? Et son modèle économique ?
Chaque appartement disposera de toilettes séparant l’urine des matières fécales. Le liquide rejoindra ensuite un réseau public de collecte l’acheminant, sous la voirie, jusqu’à une usine de traitement au sous-sol du bâtiment Chaufferie. Là, dans une succession de cuves reliées en série, un triple processus de transformation – stabilisation, filtrage et concentration – s’opérera. 15 litres d’urine produiront un litre d’engrais 100% naturel. Avec 2 000 litres d’urine traités par jour, 130 litres d’engrais sortiront quotidiennement de l’usine. Avec un coût très limité au vu de la simplicité du système.
La Ville de Paris exploitera en régie le réseau et l’usine de traitement. L’engrais produit ne sera donc commercialisé ni auprès de particuliers ni d’entreprises, mais utilisé dans les parcs et jardins parisiens en substitution des engrais chimiques utilisés jusqu’ici. L’initiative est d’une ampleur inédite à l’échelle nationale, voire internationale. La collecte des urines s’effectue parfois de nos jours à l’échelle d’un bâtiment mais pas de tout un quartier.
Que représentent les quantités produites par rapport aux besoins de la Ville ?
Elle n’est pas négligeable. Mais, l’essentiel tient dans la démonstration de la faisabilité et de l’efficacité du traitement des urines dans un quartier : les retours d’expérience sont encore rares ! Or, l’enjeu est de taille. Les minéraux contenus dans l’urine – azote, phosphore, potassium… – polluent les rivières malgré les processus d’épuration. À cause du réchauffement climatique, les cours d’eau élimineront à l’avenir plus difficilement ces substances, dont la concentration augmentera par ailleurs à cause de la croissance démographique. D’où l’intérêt d’explorer de nouvelles façons de faire. Voilà pourquoi l’Agence de l’Eau Seine Normandie financera jusqu’à 80% du projet. Par ailleurs, le coût de l’assainissement, notamment en région parisienne, est très élevé, alors qu’en produisant son propre engrais la Ville réalisera des économies. Surtout que le coût du dispositif de recyclage – un réseau plutôt rustique de tuyaux et cuves en PVC – est très limité au regard du bilan de l’opération.
Les habitants devront-ils adopter des habitudes particulières ?
Les toilettes à collecte séparative s’utilisent tout naturellement… tout comme des toilettes normales, la chasse d’eau rince la cuvette après usage. L’entretien, aussi simple, diffère en revanche : ni eau de javel, ni excès de produits ménagers susceptibles d’éliminer les bactéries responsables de la mutation de l’urine en engrais. Les canalisations, sujettes à des dépôts de calcaire, devront être entretenues, avec de l’acide citrique, par exemple. Un peu de pédagogie sera donc utile. Elle sensibilisera, par ailleurs, les habitants à l’impact environnemental de nos déjections. La question est centrale, en vue d’un développement urbain plus durable, mais largement occultée. Favoriser sa réappropriation par le public était précisément l’objectif de la designeuse Louise Raguet, avec son installation de collecte des urines féminines aux Grands Voisins. Celle-ci alimentait la filière agricole francilienne. P&Ma a financé cette expérience car elle faisait écho à son propre projet de recyclage des urines et l’annonçait.
L'installation de collecte des urines féminines aux Grands Voisins (projet Louis Raguet).
L’expérience comporte-t-elle des risques ?
Il n’y aura pas de risque sanitaires ou olfactifs, car l’ensemble des installations fonctionne en circuit fermé. Les expériences réalisées ailleurs, dans d’autres pays européens notamment, le démontrent, même si elles sont d’échelle plus réduite. Il n’y aura pas non plus de production de déchets hormis le charbon actif, utilisé dans les filtres, à remplacer de temps à autre.
Comment les promoteurs et concepteurs des bâtiments voient-ils le projet ?
La technologie des toilettes à collecte séparative est maîtrisée et leur installation dans les bâtiments ne présente pas de complexité particulière. Dans les immeubles, il s’agit de dédoubler le conduit d’évacuation des WC. Personne n’a donc manifesté de perplexité ou d’hostilité à l’égard du projet. Il y aura sans aucun doute des questions techniques de détail à régler : un chantier qui nous occupera en 2021. Entre temps, les travaux de réalisation du réseau public de collecte, situé sous les voies du futur quartier, débuteront en avril.