De l’eau pour chauffer l’eau
Le réseau d’eau non potable de la capitale, géré par Eau de Paris, peut devenir, combiné à celui de vapeur de la CPCU, l’un des dispositifs parisiens de chauffage urbain durable. Saint-Vincent-de-Paul l’adopte, pour la première fois en France, à l’échelle d’un quartier.
Entretien avec Florence Soupizet, responsable du pôle Climat et Énergies, Direction d’ingénierie et du Patrimoine d’Eau de Paris.
Comment est né le projet ? La Ville de Paris a lancé en 2017 un appel à contributions auprès de ses services et partenaires, dont Eau de Paris. Elle attendait des solutions durables de chauffage urbain pour Saint-Vincent-de-Paul. Or, nous avions déjà travaillé avec la CPCU (Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain), l’opérateur désigné pour assurer ce service dans le futur quartier. Depuis 2016, nous exploitons ensemble dans l’écoquartier Clichy-Batignolles une solution innovante de chaleur renouvelable. Elle associe le réseau de vapeur de la CPCU et la récupération des calories de l’eau de la nappe phréatique de l’Albien. Cette dernière, qui sert normalement de réserve stratégique en cas de crise, présente une température moyenne de 25 à 28°.
À Saint-Vincent-de-Paul, Eau de Paris et CPCU ont proposé ensemble un système de production de chaleur à partir de la récupération des calories du réseau parisien d’eau non potable, en déployant cette solution à l’échelle d’un quartier, ce qui était inédit. Nous l’avions concrétisée avant, à plusieurs reprises, mais à l’échelle d’un seul immeuble, bien que parfois considérable, comme l’Hôtel de ville de Paris, où nous assurons une production de froid à partir du même réseau !
Quelle est cette solution innovante de chauffage urbain ? L’eau non potable circule dans nos canalisations à une température très similaire à celle de la Seine. Nous la fournissons à des entités publiques ou privées pour en extraire de la chaleur ou du froid. Concrètement, l’eau est prélevée du réseau et acheminée près de l’immeuble à chauffer. Ici, des échangeurs thermiques récupèrent ses calories et les transfèrent à un dispositif de production de chaleur. Évidemment, cet apport de chaleur n’est pas suffisant. Le reste est fourni par la CPCU dont le réseau est, lui aussi, étendu au site concerné.
Usine d'eau non potable d'Austerlitz © Eau de Paris
Comment cette solution s’applique-t-elle à Saint-Vincent-de-Paul ? Les immeubles du quartier sont desservis par une boucle d’eau chaude qui alimente directement les radiateurs des logements, locaux d’activités, équipements publics… et permet de chauffer également l’eau chaude sanitaire. C’est cette boucle qui est connectée via des échangeurs thermiques à la fois au réseau d’eau non potable de la Ville et à celui de la CPCU. Le premier lui fournit 60% de sa chaleur, le second les 40% restants.
En quoi cette solution est-elle durable ? La quantité d’énergie consommée par la CPCU est considérablement réduite car l’opérateur ne fournit plus qu’une partie de la chaleur nécessaire. Le reste est prélevé sur notre réseau où l’eau est à température à peu près constante de 14°. Une ressource totalement renouvelable, donc durable. Pompée dans la Seine et le canal de l’Ourcq, elle est disponible toute l’année. Le réseau qui l’achemine, a été réalisé au 19e siècle, et irrigue largement la ville. Seuls des travaux limités sont nécessaires pour l’étendre localement ou renforcer son réseau pour ajuster le débit aux besoins de production de chaleur ou de froid renouvelable. Enfin, l’eau non potable ne subit que très peu de traitements d’épuration, à l’inverse de l’eau potable. Le réseau Eau de Paris représente une véritable opportunité pour la capitale dont peu de villes disposent. Au cas où il présenterait une défaillance momentanée, la CPCU prendrait immédiatement le relais en compensation.
Que devient l’eau utilisée pour fournir de la chaleur à Saint-Vincent-de-Paul ? Elle est réinjectée dans le réseau principal, plus froide que lorsqu’elle l’avait quitté… Or, dans le quartier, la conduite dévolue à cette fonction est également celle qui assurera l’arrosage des espaces verts et l’entretien de la voirie. La mutualisation de la conduite avec ces usages représente une démarche de sobriété urbaine et de gestion différenciée de l’eau qui donne à notre solution un surplus d’écologie. Ces solutions font écho au schéma directeur de l’eau non potable élaboré en 2015. Un de ses objectifs est la diversification des ressources qui alimentent le réseau en récupérant, par exemple, les eaux pluviales et les eaux d’infiltration dans des espaces souterrains tels que les tunnels du métro ou d’anciennes carrières. Un autre objectif consiste à développer pour ces eaux de nouveaux usages en complément des usages actuels— arrosage, nettoyage des rues et des égouts — afin d’en exploiter pleinement le potentiel écologique.