Les mille et une vie d’une dalle
Aménagement d'une cloison dans les locaux de la ressourcerie La Grande Ourcq, à Romainville, à partir de matériaux de construction récupérés à Saint-Vincent-de-Paul © La Grande Ourcq
La ressourcerie La Grande Ourcq, à Romainville, a bénéficié de la démarche de réemploi des matériaux de construction, lancée à Saint-Vincent-de-Paul, pour réaliser une diversité de projets.
Entretien avec Paul Gallois, cofondateur de la Grande Ourcq.
Comment avez-vous intégré la démarche de réemploi des matériaux de Saint-Vincent-de-Paul ? Mobius, l’entreprise qui la coordonne pour le compte de P&Ma, a dû nous faire passer une annonce, car nous sommes connectés à des réseaux du réemploi. Avant La Grande Ourcq, j’ai cofondé la Requincaillerie, une association qui anime des ateliers « réemploi » avec le public. Dès 2015, La Requincaillerie a travaillé avec Bellastock, une coopérative de « construction alternative » faisant la part belle au réemploi des matériaux. Ensemble elles ont animé des projets d’urbanisme transitoire le long du canal de l’Ourcq, en partenariat avec Est Ensemble et d’autres acteurs institutionnels. À Saint Vincent-de-Paul nous avons récupéré notamment près de 200 dalles de faux plafond, en aggloméré et placage bois, d’un grand intérêt esthétique, issues des locaux de direction de l’hôpital. Ces panneaux mesurent 120x60 cm. Une dimension très pratique pour réaliser toute une diversité de projets.
Lesquels ? La Grande Ourcq a créé, à Villemomble, une cloison et du mobilier dans un local associatif en pied d’immeuble pour le compte d’ICF Habitat. Un chantier 100% réemploi et participatif, comme l’association en réalise souvent pour le compte de bailleurs sociaux. Un deuxième projet nous concernait directement. Dans notre nouveau siège de Romainville, les dalles de faux plafond ont composé une face de la cloison délimitant l’atelier de fabrication ouvert au public. L’autre face a été réalisée en assemblant des portes rouges, vertes kaki et blanches, elles aussi provenant de l’ancien hôpital. Toujours à partir de l’ancien faux plafond, des tables seront réalisées pour le restaurant de la Cité maraîchère de Romainville : un projet très ambitieux de ferme urbaine verticale porté par la Ville. Ici, les panneaux sont découpés pour créer une marqueterie révélant la beauté du matériau originel. Réemployer ne signifie pas uniquement réutiliser. C’est aussi mettre en scène la matière, valoriser un savoir-faire artisanal ou industriel du passé. Réemployer signifie aussi réfléchir à la vie future des matériaux. On ne réemploie pas qu’une fois…
Aménagement d'une cloison dans les locaux de la ressourcerie La Grande Ourcq, à Romainville, à partir de matériaux de construction récupérés à Saint-Vincent-de-Paul © La Grande Ourcq
Pouvez-vous préciser ? Un caisson isolé thermiquement et phoniquement, lui aussi réalisé en assemblant les dalles de faux plafond, servait à un bureau d’études en ingénierie pour tester une solution écologique de climatisation. Aujourd’hui cette structure est inutilisée. Elle sera transformée en caisson insonorisé pour une web radio. Les matériaux peuvent avoir une troisième, voire une quatrième vie, si on réfléchit au démontage en même temps qu’à la conception et au montage.
Avez-vous réutilisé d’autres matériaux provenant de Saint-Vincent-de-Paul ? Plein de petits éléments, pour l’aménagement de notre local : cornières métalliques, poignées de portes, crémaillères et équerres pour étagères, dalles de faux plafond en polyuréthane aussitôt reconverties en isolant thermique… Les petits objets constituent souvent la vraie plus-value du réemploi. Additionnés, ils représentent de grandes quantités et, par là même, une économie significative. Nous cherchions une double porte qui s’ouvre dans les deux sens pour notre atelier. Nous l’avons trouvée dans le bâtiment Rapine. Une charnière double sens coûte 20 euros. Là, il nous en fallait quatre. Sans compter le coût des deux portes…
La culture du réemploi s’est-elle développée ces dernières années ? Le mot réemploi était confidentiel il y a encore cinq ans. Aujourd’hui, des agences d’architecture nous contactent car leurs clients, ou les cahiers des charges des appels d’offres, leur demandent d’utiliser une part de matériaux de réemploi. La difficulté, et le plaisir, avec le réemploi, est que nous expérimentons une nouvelle méthode à chaque projet et adaptons nos créations selon les matériaux disponibles. Il y a un côté créatif. Impossible de dessiner au millimètre. Or, partir de la contrainte du matériau n’est pas tout à fait ancré dans la culture du concepteur. Le réemploi, c’est un basculement culturel : faire avec ce qu’on a plutôt que définir ce qu’on veut faire et chercher ensuite des produits correspondant à nos envies. Un changement d’autant plus difficile pour les gros opérateurs du bâtiment.