L’Arche de Noé des plantes
© Les Petites Voisines
Le projet « Les Petites Voisines » a entrepris de préserver le patrimoine végétal de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Une démarche écologique, artistique et participative.
Entretien avec Bérénice Perrein, designer-paysagiste et Isabelle Delatouche, artiste, responsables du projet.
Quelle est l’origine du projet ?
Bérénice. J’ai effectué mon service civique aux Grands Voisins où je me suis occupée pendant 10 mois des aménagements extérieurs et de l’entretien des plantes. Très vite, j’ai développé avec elles une relation affective et je me suis donc posée la question de leur devenir pendant le chantier. Hors de question de voir partir à la benne ce patrimoine vivant.
Isabelle. Depuis la fermeture de l’ancien hôpital, les plantes se sont débrouillées toutes seules, pendant une décennie, sans entretien, faisant preuve de résistance et d’adaptabilité. Le site leur doit en partie sa personnalité. Cèdre monumental, allées de rosiers et cognassiers qui fleurissent tous les ans, mahonias, figuiers, cassissier, sauge de Jérusalem, dentaire du Cap, plantes du potagers, bananiers… un mélange étonnant de plantes fruitières et ornementales témoigne également d’une histoire du paysage. Ce mélange favorise le développement d’un volet artistique des Petites Voisines.
© Catherine Griss
En quoi consiste le projet ?
Bérénice. Les végétaux ont été répertoriés et leur emplacement noté. Un sujet par espèce et par variété a été ensuite transplanté : 200 plantes environ, impossible de faire plus avec nos moyens. Il s’agit des plantes de taille moyenne et d’arbustes, comme les rosiers, dont 20% environ ont été récupérés. De nombreuses boutures – une branche coupée donnant vie à une nouvelle plante – ont été aussi réalisées. Des rhizomes de menthe, des graines de chardon… ont été collectés. Les plantes récupérées sont entretenues hors sol à « Vive les Groues », un site géré par l’association Yes We Camp, à Nanterre, avant de réintégrer leur habitat d’origine. Les grands arbres, eux, resteront sur place et seront majoritairement préservés pendant les travaux.
Isabelle. Dans la tradition des Grands Voisins, nous avons souhaité sensibiliser et faire participer le plus de personnes possibles au projet, avec les ateliers des Petites Voisines. Chaque semaine des animations autour des plantes : aquarelles, dessin à l’encre, fabrication de tisanes… Lors du premier confinement, les participants nous ont adressé une contribution libre – textes, croquis, photos – pour réaliser d’abord un herbier participatif en ligne et, ensuite, un livre dont la vente finance en partie le projet des Petites Voisines. Une plateforme de financement participatif est aussi ouverte. Tout un chacun peut parrainer une plante et contribuer à son entretien pendant trois ans, jusqu’au terme du chantier. Il faut notamment acheter des pots de pépiniériste, où les racines se développent horizontalement, sans contrainte. C’est important pour réussir le retour des plantes au bercail.
© Les Petites Voisines
Comment s’est organisée la transplantation ?
Bérénice. Une première phase a été menée à l’automne 2019, par une petite équipe réunissant étudiants, salariés en insertion professionnelle du Dispositif Premières Heures, membres des associations Aurore, Yes We Camp et Plateau urbain. Des résidents des Grands Voisins, artisans ou artistes, étaient aussi à nos côtés. Parmi eux, la photographe Catherine Griss a mis en image notre travail. Une seconde phase a eu lieu en octobre 2020, en pleine crise sanitaire. C’est pourquoi seul Yes We Camp s’y est consacré. C’est entre ces deux phases que le projet a véritablement mûri.
Isabelle. Nous avons dû abandonner une idée initiale de forêt urbaine éphémère le long de l’avenue Denfert-Rochereau, faute de place et de moyens. Le sens du projet – préserver les végétaux ailleurs et les ramener au terme des travaux – a pris corps ensuite. Restait à trouver un lieu d’entreposage temporaire. Nous l'avons cherché à proximité d’abord : les jardins de l’Observatoire de Paris ou les jardins des couvents limitrophes. Nous avons fini par atterrir à Nanterre. Il n’a jamais été question d’abandonner.
© Catherine Griss
Comment le projet se poursuit-il ?
Bérénice. En février, si la crise sanitaire le permet, les ateliers vont reprendre à Nanterre, à Vivre les Groues, pour réaliser, par exemple, de la « vannerie sauvage » avec les plantes du site. Au terme du chantier Saint-Vincent-de-Paul, les végétaux issus de l’ancien hôpital seront ramenés dans le quartier. Nous organiserons des temps de plantation participatifs, avec, pourquoi pas, les habitants, les riverains…
Isabelle. Les végétaux grandissent dans un site et s’adaptent à ses conditions particulières… Lorsque nous les ramèneront dans le futur quartier, leur ancien milieu, ils seront sans doute plus résistants que des sujets venant de l’extérieur. Ils composeront un univers plus naturel qu’un paysage construit de toutes pièces. Ils dialogueront plus facilement entre eux et avec les arbres restés dans le site. Les plantes communiquent entre elles, forment un continuum vivant. Avec sa communauté végétale d’origine, le site retrouvera aussi en partie son ambiance, se raccrochera à une histoire, cultivera l’imaginaire de ses habitants et visiteurs.
© Catherine Griss
© Catherine Griss
© Catherine Griss