L’immeuble, affaire de tous
La cour jardinée de l'îlot Lelong © Lacaton & Vassal, Gaëtan Redelsperger architectes / image Bureau Jaune
Tous les habitants de l’îlot Lelong, propriétaires ou locataires sociaux, participeront sur un pied d’égalité à la gestion de leur lieu de vie commun. Grâce à l’Agora Lelong, un outil de gouvernance inédit, imaginé par Quartus, promoteur de l’opération.
Entretien avec Ludovic Boespflug, directeur général délégué de Quartus.
Qu'est-ce qui vous a poussé à répondre à la consultation pour l'îlot Lelong ?
Le site est emblématique, à plus d’un titre. D'abord, par l’histoire, ancienne, de l'hôpital parisien. Ensuite, par son passé récent, l'occupation des Grands Voisins, qui a fait émerger un espace multifonctionnel de convivialité, solidarité et partage. Enfin, la ZAC Saint-Vincent-de-Paul est un laboratoire urbain de la Ville de Paris, en termes de transition écologique et sociale, d'invention de nouveaux modes d'habiter. Un projet immobilier puise ses origines dans le terrain. Saint-Vincent-de-Paul nous offrait tout ce qui compte pour nous dans la fabrication de la ville. Nous nous en sommes inspirés pour construire un projet respectueux du bâtiment préexistant, inclusif, solidaire, écologique.
Comment le projet incarne ces ambitions ?
D'abord par des lieux qui génèrent l'expérience du vivre ensemble autour d'usages banals : local vélos, local déchets, espaces collectifs… Leur conception et localisation suscitent une pratique un peu différente, qui facilitent le quotidien des habitants et favorisent les rencontres. Une façon d'allier l'utile à l'agréable. Ensuite, le projet invente un nouveau mode de gouvernance. Le vivre ensemble ne peut reposer uniquement sur de nouveaux lieux. Dans l'îlot Lelong, autour de chaque palier, se regroupe une grande mixité sociale. Or, tous les habitants doivent s’impliquer dans la vie de l’immeuble.
Des espaces partagés en pied d'immeuble © Lacaton & Vassal, Gaëtan Redelsperger architectes / image Bureau Jaune
Qui sont les futurs habitants de Lelong ? Comment vivront-ils ensemble ?
La programmation donnée par la Ville associait des logements en accession libre et des logements sociaux. Nous avons ajouté des logements pour les classes moyennes, qui ont du mal à se loger à Paris, grâce à un outil ad hoc : le bail Réel Solidaire. L'acquéreur achète l'usufruit du logement, dont les murs sont détenus par un Organisme de Foncier Solidaire (OFS). Les habitants de l'îlot Lelong représentent ainsi en quelque sorte toute la population parisienne. Or, cette cohabitation doit s’organiser. Une association, l'Agora Lelong, a donc été créée pour rapprocher tous les habitants autour de la vie de l’immeuble. Tous y adhéreront à travers une contribution très faible, s'engageant par là-même dans un mode de vie.
Le bailleur social est-il représenté au sein de l'association ?
Oui, puisqu'il est propriétaire. Mais ses locataires sont également tous présents et participent à la prise de décision ! Leur voix compte autant que celle des propriétaires. C'est là toute la différence. Habituellement, dans une copropriété associant propriétaires particuliers et bailleur social, les locataires sociaux sont représentés par ce dernier.
Comment fonctionne, concrètement, l'Agora Lelong ?
Comme certaines entreprises, parfois très importantes, l’association adopte une forme de gouvernance par sociocratie : les décisions sont adoptées par consentement lorsque personne ne s'y oppose. La notion de majorité, absolue ou relative, n’a plus cours. Plus concrètement, les décisions sont prises au sein de groupes restreints d’habitants dédiés à des sujets spécifiques : entretien, jardinage, ménage, gestion des espaces partagés, accueil des nouveaux arrivants… Elles sont entérinées ensuite au niveau de la copropriété, cercle global de gouvernance. Pour ne pas trop complexifier le dialogue, les occupants des 137 logements de Lelong ne participent pas directement à tous les aspects de la vie de l’immeuble. Comme la méthode est nouvelle, avec l'Institut des Futurs Souhaitables, un de nos partenaires, un programme de formation est organisé préalablement à la livraison de l’immeuble et aussi après, sur une période allant de 18 à 24 mois. Les futurs occupants de l’îlot feront connaissance dans ce cadre. Des dispositifs d’accompagnement plus pérennes sont également mis en œuvre.
Des dispositifs d’accompagnement ?
La raison d’être d’Habitat & Humanisme, le bailleur social de l’îlot Lelong, est l'insertion par le logement. Un important dispositif d'accompagnement est mis en œuvre dans ce but par des salariés et des bénévoles. Il permet aux locataires sociaux les plus précarisés de s'intégrer dans la copropriété. Habitat & Humanisme représente par ailleurs l'OFS (Organisme Foncier Solidaire) propriétaire des logements en Bail Réel Solidaire. Il a donc une double casquette dans le projet.
La façade vers la croisée paysagère centrale du futur quartier © Lacaton & Vassal, Gaëtan Redelsperger architectes / image Bureau Jaune
Quartus est un promoteur immobilier. Quel est pour vous l'enjeu de cette opération ?
Il est facile pour un promoteur de faire des boîtes où mettre des gens. Il est beaucoup plus difficile de créer des conditions de vie quotidienne agréables et des services. C’est la raison d'être de Quartus, dont le nom découle d'une contraction de Quartier et Usages... En plus de la mixité sociale, le projet Lelong affirme, à l'échelle de l'îlot, une mixité programmatique. La Ville avait demandé de réaliser 1 200 m2 de locaux d’activités et de services. Nous avons proposé des mètres carrés de locaux d’activités supplémentaires.
Par ailleurs, pour faciliter le vivre ensemble, un nouveau métier est créé dans le cadre du projet : « l'hospitality manager ». Il s’appelle comme ça parce le terme concierge, ou gardien, ne couvre pas l’étendue de ses fonctions : manager le vivre ensemble, gérer les tensions et conflits… Le contrat de travail de ce médiateur va être porté par Facility, le syndic de Quartus, qui offre aussi une plateforme de services. Notre rôle de promoteur ne se cantonne donc pas à la construction et à la vente, mais se prolonge dans le suivi durable de la vie de l'immeuble.