Sortir des sentiers battus
L'accès principal de l'équipement Pinard © Chartier Dalix architectes
Avec le projet Pinard, la Ville de Paris réinvente la relation entre quartier et équipement scolaire. Mutualisé, celui-ci devient lieu de vie et vecteur de lien social. L’expérimentation menée à Saint-Vincent-de-Paul pourrait inspirer d’autres équipements dans Paris.
Entretien avec Clément Colin, sous-directeur adjoint des établissements scolaires à la Direction des affaires scolaires de la Ville de Paris
À quel moment votre Direction a-t-elle été intégrée à la conception de l’équipement Pinard ?Très tôt, avec l’intervention des démographes du bureau de la Prévision scolaire. Celui-ci a évalué, dès la phase de programmation résidentielle du projet saint-Vincent-de-Paul, les besoins scolaires induits par la création de nouveaux logements et l’arrivée des nouveaux habitants. Il s’agit d’une procédure habituelle, lancée à Paris pour tout projet d’habitat, public ou privé. Elle permet d’adapter les services publics en conséquence. Il y a eu un débat, à cette occasion, car l’offre scolaire autour du futur quartier répondait potentiellement aux nécessités identifiées. Finalement, la décision de créer une école dans le bâtiment Pinard a été actée à condition de donner vie à un équipement « mutualisé », expérimental et démonstrateur à l’échelle de la ville. Quitte à reconvertir éventuellement, dans l’arrondissement, des locaux scolaires excédentaires, pour accueillir d’autres services publics.
Qu’est-ce qu’un équipement mutualisé ? Quels en sont les enjeux ?
Le bâtiment Pinard réunira une crèche, une école polyvalente maternelle et élémentaire et un gymnase. Ces trois équipements partageront certains locaux et fonctions – cuisine, cabinet médical, locaux techniques… – pendant le temps scolaire, dans une logique d’optimisation des espaces. Mais, la notion de mutualisation fait surtout référence à l’ouverture du site à l’extérieur, hors temps scolaire. Pour accueillir le soir, le week-end et pendant les vacances scolaires, une diversité d’usages en lien avec la vie du quartier et de l’arrondissement. Le projet questionne ainsi le rôle traditionnel de l’équipement public, en démultipliant son offre de services à la population. Il questionne également le fonctionnement traditionnel des établissements scolaires, qui sont encore difficiles à ouvrir vers l’extérieur. Le bâtiment Pinard pourrait idéalement fonctionner sept jours sur sept et 24 heures sur 24 ! Aucune limite n’est fixée pour l’instant aux horaires du site. Ils seront établis par son futur gestionnaire en fonction des programmes d’animation retenus à terme.
Un événement sportif dans la cour de l'école, le week-end © Chartier Dalix architectes
D’où vient ce concept d’équipement mutualisé ?
En 2014, le programme électoral d’Anne Hidalgo prévoyait déjà l’ouverture de l’école au quartier. Une expérimentation a d’ailleurs été menée en début de mandature, mais les attentats de fin 2015 lui ont mis brutalement terme : il était devenu soudain prioritaire de s’assurer que personne ne puisse s’introduire dans les établissements scolaires. L’ambition n’a jamais été abandonnée mais il fallait lui redonner un second souffle. Le futur équipement Pinard est l’occasion d’avancer concrètement sur ces réflexions autour de l’école mutualisée. Plus généralement, la Ville de Paris explore cette ambition dans tous les projets neufs qu’elle porte. Par exemple un autre projet, à l’étude dans la ZAC Ordener-Poissonniers, prévoit d’associer une école et le nouveau conservatoire du 18e arrondissement, imaginant une porosité entre ces deux entités. Ces deux projets précurseurs favoriseront le changement progressif de notre culture professionnelle. Leur intérêt est d’expérimenter des idées et faire des émules. La nouveauté de tels équipements tient tant à leur conception qu’à leur gestion. Celle-ci doit intégrer à la fois le partage des lieux entre différentes institutions, leur osmose avec la ville, les horaires décalés tout en maintenant la qualité du service de l’éducation aux temps scolaires. C’est un défi qui nécessite la réflexion et l’invention de nouveaux métiers pour l’administration.
Un concert dans la cour de l'école, en soirée © Chartier Dalix architectes
Comment le travail de co-conception avec les autres directions de la Ville de Paris s’est-il déroulé ?
Nous avons une culture de l’échange partenariale, à la Ville de Paris, avec un réseau de cadres très actif, ce qui facilite grandement le dialogue. Mais, nous n’avions pas l’habitude de nous voir régulièrement, en phase projet, pour confronter très concrètement nos problématiques respectives et concilier nos objectifs. Les échanges ont été très transparents et constructifs, avec, parfois, quelques aspérités, mais c’est là toute la richesse du dialogue. La qualité de la synthèse des impératifs des différentes Directions, établie par l’aménageur et transmise aux concepteurs, a grandement facilité les choses, de même que le portage très fort par la mairie du 14ème.
Quelles modalités de gestion envisagez-vous pour l’équipement Pinard ?
La Ville de Paris a, pour le moment, décidé de recruter une personne intégralement dédiée à la préfiguration fonctionnelle de l’équipement. Elle aura à définir sa programmation en faisant le lien entre, d’une part, les besoins des associations et habitants du secteur et, d’autre part, les contraintes et objectifs de chaque direction de la Ville utilisatrice : Affaires Scolaires, Jeunesse et Sports, Famille et Petite Enfance. Ce travail associe également la marie du 14ème ainsi que l’Éducation nationale, responsable du projet pédagogique de l’école. L’enjeu est aussi d’imaginer une forme de gouvernance efficace et un nouveau métier de gestionnaire. Ce dernier s’exercerait à travers une délégation de service public, ou en régie… différentes options sont envisagées à ce stade.
Quelles seraient les tâches du nouveau gestionnaire ?
Sur un plan très pratique, il sera chargé d’organiser l’alternance des différents usages au sein d’un même espace, dans les meilleures conditions. Lorsqu’une association utilise une salle polyvalente le soir, il faut que l’école puisse réinvestir pleinement le lieu le lendemain, sans contraintes. Plus globalement, l’objectif est d’offrir au monde associatif un interlocuteur susceptible de porter des initiatives et de lancer des appels à projets afin de faire vivre le site, de créer de la richesse sociale… le projet Pinard est séduisant, mais son succès se joue également au niveau de sa gestion. C’est elle qui doit en révéler tout le potentiel.
Vue d'ensemble du futur équipement mutualisé Pinard © Chartier Dalix architectes
Le fonctionnement mutualisé représente-t-il un coût supplémentaire ?
L’école, la crèche et le gymnase ne coûteront pas plus cher qu’ailleurs dans Paris. Le fonctionnement de l’équipement sur des plages horaires étendues ou la mise à contribution ponctuelle de prestataires comporteront quelques surcoûts… Dans le même temps, il faut garder à l’esprit le service public rendu au quartier et le gain social.